Le département de la Marne a été frappé par le Covid-19 avec 427 décès entre le 1er mars et le 31 mai 2020. L’Établissement public de santé mentale (EPSM) de la Marne a dû faire face et se réorganiser rapidement pour assurer l’accueil et le suivi des patients. Il a même dû parfois se réinventer. Retour d’expérience.
Dans toute situation de crise, il faut savoir réfléchir et agir vite », résume Xavier Dousseau, directeur de l’Établissement public de santé mentale (EPSM) de la Marne. Tout au long de la pandémie, l’hôpital psychiatrique a dû faire preuve de réactivité. Ainsi dès le 10 mars 2020, le niveau 1 du plan blanc a été déclenché puis le 16 mars, le niveau 2. « Nous avons pris des mesures en anticipant les directives ministérielles qui sont arrivées plus tardivement et nous avons constaté qu’elles étaient en accord », précise le Dr Éric Wargny, président de CME.
Une cellule de crise hospitalière, pilotée par le directeur et le président de CME, s’est réunie tous les jours jusqu’au début du mois d’avril, deux fois par semaine jusqu’au 15 mai, puis une fois par semaine. Elle était composée du médecin généraliste référent COVID-19, de la directrice des soins, de représentants de médecins psychiatres des différents pôles, des directeurs fonctionnels impactés, du médecin du travail. « La difficulté était de continuer à assurer les soins psychiatriques dans un contexte qui les rendait difficile, déclare Xavier Dousseau. Cette discipline est fondée sur le relationnel, les activités de groupe, etc. Or, ceux-ci ont été bouleversés par des mesures de distanciation sociale notamment qui allaient à leur encontre. »
Pour limiter la propagation du virus au sein de l’établissement, seules les hospitalisations strictement nécessaires ont été maintenues dans les 16 unités d’admission avec une seule règle : un patient par chambre. « Pour respecter les mesures préconisées, il a fallu réduire la capacité d’hospitalisation car dans certaines unités, nous avions encore des chambres à 2 voire 3 lits », indique le directeur de l’EPSM de la Marne. Ainsi en avril, le taux d’occupation des unités d’admission a baissé de 7 %. Les patients, dont la situation clinique le permettait, ont été renvoyés chez eux avec, dans certains cas, la mise en place d’un accompagnement à domicile. « Cette crise a révélé le besoin impérieux de reconstruire nos structures rémoises, ce qui est prévu. Si un vaste plan de rénovation a été mené, il faut que l’hôpital poursuive sa modernisation pour ne disposer que de chambres à 1 lit équipées de sanitaires », reconnaît le Dr Éric Wargny, président de la CME.
Deux zones COVID-19 créées
En parallèle, deux zones de confinement ont été créées sur les sites d’hospitalisation de Reims et de Châlons-en-Champagne pour accueillir les patients infectés par le COVID-19. En une semaine, il a fallu cloisonner des espaces ; transformer des locaux ; aménager une salle de soins, des espaces de stockage, des vestiaires, une salle de détente ; retravailler les différents flux (patients, professionnels, logistiques). « La principale difficulté était d’œuvrer en prenant en compte des architectures différentes de bâtiment, intégrer un phasage à 3 niveaux pour une extension possible et identifiée en fonction de l’afflux de patients et des pathologies à risques sur les zones COVID-19 et leur environnement, affirme Christophe Amann, directeur adjoint chargé des services économiques, logistiques, techniques et informatiques. Heureusement, nous avions sur place le matériel et les compétences affirmées en technique et prestations logistiques. »
Les patients atteints du COVID-19 qui y étaient hospitalisés étaient suivis par les médecins généralistes de l’EPSM de la Marne référents COVID-19, les Dr Maëlle Cravero et Dr Christophe Laugier. Depuis le 1er novembre 2019, l’établissement compte en effet un pôle de médecine générale avec 5 praticiens hospitaliers. « Cette pandémie a confirmé le bien-fondé d’avoir un tel service structuré au sein d’un établissement de santé mentale, observe le directeur. Grâce à nos médecins généralistes, nous avons pu prendre en charge les patients qui développaient une forme sans gravité du COVID-19. Grâce à eux, nous avons pu vérifier que les règles de protection pour les patients et les professionnels étaient bien suivies et réajustées en permanence. » Pour la prise en charge des patients atteints du COVID-19, les médecins généralistes étaient aidés d’une équipe de soignants dédiée sur chaque site. Une équipe doublée formée préalablement aux protocoles d’hygiène par l’Équipe opérationnelle d’hygiène (EOH) de l’établissement. Au total, 16 patients hospitalisés ont été infectés par le COVID-19 et suivis par les médecins généralistes de l’établissement entre le début de la pandémie et le 31 mai. Une unité de long séjour a dû être confinée suite à l’apparition d’un cluster avec 18 patients infectés par le coronavirus dont 12 confirmés virologiquement. L’un d’entre eux, souffrant de lourdes comorbidités, est décédé.
Autre forte contrainte qui s’est imposée à l’EPSM de la Marne : le besoin d’espaces des établissements MCO pour soigner les patients infectés par le coronavirus. C’est ainsi que les locaux de l’Unité de soins complexes en addictologie de Reims (USCAR) ont été mis à la disposition du CHU de Reims, à sa demande. Cette unité d’addictologie, située au sein même de l’établissement sanitaire rémois, a dû fermer temporairement ses portes. Sur les 15 patients hospitalisés, 3 ont été transférés à l’Unité de soins complexes en addictologie de Châlons (USCAC) de l’EPSM de la Marne. Les 12 autres patients, dont la situation clinique et l’environnement familial le permettaient, ont, quant à eux, regagné leur domicile. Au centre hospitalier de Châlons-en-Champagne, ce sont les urgences psychiatriques de l’EPSM de la Marne qui ont dû quitter les lieux le 20 mars. Le service avec ses 4 lits a dû emménager en 3 jours sur le site châlonnais de l’EPSM de la Marne. « Par chance, nous avions un service tiroir qui venait de se libérer, ce qui a permis de l’aménager rapidement pour pouvoir ouvrir 2 chambres d’isolement et 2 chambres simples en intégrant tous les circuits », détaille Christophe Amann, directeur adjoint. Une infirmière psychiatrique de liaison a toutefois dû être maintenue en journée au centre hospitalier de Châlons-en-Champagne « avec des déplacements autant que de besoin » entre les deux établissements.
Forte réduction de l’extrahospitalier au début de la pandémie
Si l’intra-hospitalier a dû se réorganiser face à cette pandémie, l’extrahospitalier, lui, a été fortement réduit dans un premier temps. Durant le confinement, les 6 hôpitaux de jour et 14 Centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) que compte l’EPSM de la Marne ont été fermés. Seuls les Centres médico-psychologiques (CMP) sont restés ouverts. Les consultations indispensables ont été maintenues. Les entretiens par téléphone et/ou en visioconférence ont été privilégiés. Tout au long de cette pandémie, les visites à domicile ont, elles aussi, continué d’être assurées pour les situations qui le nécessitaient, de même que les visites aux appartements thérapeutiques, tout en respectant les gestes barrière. « L’extrahospitalier s’est attaché à prendre en compte les patients qui auraient nécessité une hospitalisation en temps normal. Ceci afin de n’en pas surcharger les unités d’admission », résume le Dr Éric Wargny.
Les équipes ont donc dû s’adapter et innover. C’est le cas par exemple au centre de jour Antonin Artaud qui fait partie du pôle rémois 04 de l’EPSM de la Marne. Là, un dispositif d’aide et d’écoute à l’égard des patients a été mis en place, avec en premier lieu « un ravitaillement en nourriture indispensable physiquement et psychiquement pour certains », remarque le Dr Patrick Chemla, chef de pôle et responsable médical du Centre Artaud. Les consultations de crise et les soins de base ont été conservés pour les plus fragiles. Pour continuer à se parler « sans danger », de nouveaux canaux de communication via l’application Signal ont été instaurés et un dispositif a pu être reconstruit sur un mode virtuel. « Nous avons contacté la quasi-totalité des patients les plus fragiles pris en charge, soit près de 250 et mis en place plusieurs lignes téléphoniques pour nous rendre disponibles », explicite le Dr Patrick Chemla. Des regroupements virtuels entre soignants et patients ont été créés et un journal en ligne a même vu le jour. « C’est au cours des catastrophes, des guerres, que la psychiatrie s’est réinventée », rappelle le responsable médical du Centre Artaud qui a mis ensuite sur pied une équipe mobile de volontaires se déplaçant quotidiennement au domicile des patients les plus fragiles.
Déploiement de la téléconsultation et d’équipes mobiles
Le déconfinement n’a pas pour autant marqué un retour à la normale. « On ne desserre pas d’un seul coup », assure le directeur, Xavier Dousseau. C’est pourquoi, les structures extrahospitalières reprennent progressivement leurs activités : consultations, groupes de médiation, ateliers thérapeutiques, etc. Pour cela, chaque pôle a travaillé en amont sur un plan d’organisation de travail, en collaboration étroite avec les médecins généralistes référents COVID-19 afin de protéger le mieux possible les professionnels et les patients.
Les structures extrahospitalières ne pouvant pas accueillir tous les patients de leur file active, les consultations s’effectuent désormais sur rendez-vous. Des critères de priorité ont été définis liés à la situation clinique des patients notamment. Pour continuer à soigner l’ensemble des patients de la file active, l’établissement accélère la mise en place de la téléconsultation via l’application Odys Web du groupement régional d’appui au développement de la e-santé dans le Grand Est, Pulsy. « Cet outil ne remplace pas l’entretien en présentiel mais le fait de voir le patient permet au psychiatre d’obtenir beaucoup d’informations sur son état de santé mentale. Des informations qu’il n’a pas forcément avec la voix, lors d’un échange téléphonique. Et pour le patient, c’est une façon de sécuriser l’entretien en voyant avec qui il converse. Ça le rassure », estime le Dr François Ihuel, praticien hospitalier référent Coordination Soins Insertion.
En parallèle, l’EPSM de la Marne compte déployer des Équipes de soins psychiatriques intensifs à domicile (ESPID) sur le territoire marnais. Des équipes composées de 5 professionnels de santé : psychiatre, psychologue, infirmiers, assistante sociale… « Il s’agit de prendre en charge des patients dont le maintien à domicile ne peut s’effectuer qu’avec un renforcement des interventions à domicile, développe Xavier Dousseau. L’objectif est d’éviter l’hospitalisation quand elle peut l’être et/ou l’accompagner ensuite dans de bonnes conditions. » Le projet a été déposé à l’ARS Grand Est dans le cadre de la circulaire budgétaire relative à la campagne tarifaire et budgétaire 2020 des établissements de santé.
Un grand élan de solidarité
La principale difficulté qu’a rencontrée l’EPSM de la Marne, c’était l’approvisionnement en équipements de protection individuelle (EPI) au début de la crise sanitaire. Un approvisionnement qui s’effectuait difficilement. « Au début, la psychiatrie était rarement citée. Nous nous sommes sentis un peu seuls. Peu à peu, la psychiatrie a bien été prise en compte avec des préconisations élaborées au niveau national par une cellule spécifique, confie le directeur, Xavier Dousseau. Cela dit, nous n’avons jamais été en pénurie. Mais heureusement que nous disposions d’un stock et que nos services économiques ont réussi à trouver d’autres sources d’approvisionnement. » En attendant l’approvisionnement régulier en masques de la part de l’État, un réseau de solidarité s’est mis en place sur le territoire. Des particuliers, des entreprises, des associations partenaires, des collectivités territoriales ont donné des équipements de protection. Des couturières et des agents de l’établissement se sont mis à confectionner des masques en tissu et des surblouses à partir de sacs de tri. « Cela a permis de faire face, se réjouit Xavier Dousseau. Et d’un point de vue psychologique, cela faisait du bien pour les équipes de sentir qu’il y avait un élan sympathique de soutien autour d’eux. » Un grand merci à tous !
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